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André Miquel, historien spécialiste de langue et de littérature arabes, est mort

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L’historien, un temps administrateur des plus hautes institutions culturelles (BNF, Collège de France), s’est éteint mardi à Paris. Il avait 93 ans.

Agrégé et historien spécialiste de langue et de littérature arabes, mais aussi un temps administrateur des plus hautes institutions culturelles (BNF, Collège de France), André Miquel est mort, à Paris, mardi 27 décembre, à l’âge de 93 ans.

Fils d’instituteurs, André Miquel naît en terre languedocienne, à Mèze (Hérault), sur les rives de l’étang de Thau, proche de Saint-Guilhem-le-Désert, sur une terre aride et envoûtante. Ce paysage sauvage aux confins du causse du Larzac marque durablement l’enfant comme l’homme qui en fera le cadre de son premier roman, Les Lavagnes (Flammarion, 1975), justement inscrit dans la société archaïque du lieu à la veille de la guerre de 1940, l’époque même où le jeune André découvre ce monde de force et de solitude.

Son père est farouchement laïc et dans le petit village languedocien où il fait la classe, il ne s’adresse au curé que par l’intermédiaire d’une mère d’élève. Une abrupte confrontation de convictions qui n’interdit pas la courtoisie ; et quand l’instituteur demande que les enterrements, sur le temps scolaire, ne vident pas ses effectifs des enfants de chœur mobilisés, il s’engage en contrepartie à ne pas donner de punitions le jeudi, jour réservé au catéchisme. L’accord est fructueux, et lorsque Lucien Miquel est retenu prisonnier en Allemagne en 1940, le curé vient lui-même assurer sa femme de son soutien, réservant au malheureux sa ration mensuelle de tabac, le temps de sa captivité. Cette urbanité va s’avérer décisive. André a 13 ans lorsqu’il accompagne une tante très pieuse aux cérémonies religieuses en l’honneur de la Vierge, en mai 1943. C’est un choc.

L’adolescent demande par courrier à son père l’autorisation de s’instruire en vue de faire sa communion. Son père l’estimant en âge de faire ses propres choix, André s’engage dans une voie déiste qui se précise lentement et aboutira à une révélation de sa foi en Egypte près de vingt ans plus tard. Mais la curiosité pour le sacré ne se limite pas au christianisme et, dès ses 17 ans, André Miquel rencontre le Coran grâce… à la géographie.


Court intermède diplomatique

Primé au concours général dans cette matière bien éloignée des lettres classiques, le lycéen y gagne un périple méditerranéen de la Corse au Maghreb dont l’adolescent revient ébloui, jusqu’à se plonger dans l’étude du Coran tel que l’ont lu les Lumières. Lui qui rêvait de faire Agro pour ne pas quitter la terre languedocienne – il achève sa scolarité au lycée de Montpellier, et y demeure pour la khâgne – se tourne vers la littérature comparée, avant d’intégrer l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm (1950-1953).

Sa boussole marquera désormais l’orient. Et s’il rêve de langue persane, Henri Massé, qui l’enseigne aux Langues O’, l’en dissuade et l’adresse à son collègue, l’islamologue et arabisant Régis Blachère. Une option audacieuse de lecture des études « classiques ». Agrégé de grammaire (1953), mais préparant un mémoire sur des textes de géographes arabes du Xe siècle, le jeune homme obtient une bourse et part pour Damas et l’Institut français d’études arabes (1953-1954). Mais comme il vient de se marier, André Miquel se partage entre son couple, un cours de philologie française qu’il assure à Beyrouth et les bibliothèques syriennes, se frottant peu à la langue arabe contemporaine.

Suivent le service militaire (1954-1955), puis le secrétariat général de la Mission culturelle et archéologique française en Ethiopie (1955-1956), à Addis-Abeba, où il n’a guère l’occasion de s’initier à la langue, avant de commencer sa carrière d’enseignant dans le secondaire au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. Il n’y reste qu’un an, puisque à l’appel du Quai d’Orsay il est nommé responsable du secteur Afrique-Asie à la direction générale des relations culturelles et techniques du ministère (1957-1961), puis chef de la mission universitaire et culturelle française en République arabe unie (1961-1962). Mais l’intermède diplomatique tourne court.


Chantre de l’amour absolu

Arrivé au Caire en septembre 1961, alors qu’il pense abandonner son projet de thèse sur « La Géographie humaine du monde musulman jusqu’au milieu du XIe siècle » pour se consacrer à la culture arabe contemporaine à travers la littérature et le cinéma – encore une audace inédite –, il est brusquement arrêté en novembre et mis au secret sous quatre chefs d’inculpation, de l’espionnage au profit d’Israël à l’atteinte à la sécurité de l’Etat. Victime d’une stratégie de pression de Nasser sur la France gaullienne – depuis l’affaire de Suez il n’y a plus d’ambassadeur de France en Egypte –, Miquel n’est libéré qu’en avril 1962, aussi brusquement qu’il fut incarcéré.

De quoi renoncer à la voie diplomatique. Retour à celle plus sage de l’université. Successivement maître assistant de langue et littérature arabes à Aix-en-Provence (1962-1964), puis de sociologie de la langue et de la littérature arabes à la VIe section de l’Ecole pratique des hautes études (1964-1968), il devient, sitôt soutenue en 1967 la thèse dont il a repris le sujet initial, maître de conférences à Paris (Vincennes-Paris-VIII, 1968-1970), où il voit sombrer son rêve d’inventer de véritables études pluridisciplinaires, puis Paris-III (1970-1976), avant la consécration : l’élection au Collège de France, où il occupe la chaire de Langue et littérature arabes classiques (1976-1997).

Une institution dont il exercera la charge d’administrateur général pour deux mandats (1991-1997). Dans l’intervalle, il s’était vu confier par François Mitterrand la même responsabilité pour la Bibliothèque nationale (1984-1987) en voie de réorganisation. Cette activité triple de chercheur, d’enseignant et d’administrateur ne masque pas le drame qui mine l’homme depuis la brutale disparition de son fils Pierre, foudroyé par un cancer et dont il a livré littérairement le tombeau (Le Fils interrompu, Flammarion, 1971).

Mais le savant qui interroge tant l’islam que le christianisme pour surmonter sa douleur ne cesse de se faire le chantre de l’amour absolu, élisant pour héros le poète bédouin Majnûn et sa cousine, la belle Laylâ. Idéal de l’amour fou, pendant oriental des Celtes Tristan et Iseut auquel Miquel s’attache également, ce lien idéal et mystique l’obsédera jusqu’au bout, comme la figure du calife abbasside Al-Ma’mûn (813-833), qui rêva de rassembler pour une civilisation nouvelle l’héritage arabe et la sagesse des antiques.

On en mesure la leçon et l’écho dans Les Entretiens de Bagdad (Bayard, 2012), où il rêve un « islam des Lumières ». Littérature comparée qui ne se reconnaît pas de limites, la vision d’André Miquel devait le conduire à une traduction nouvelle, la première réellement complète, des Mille et Une Nuits (avec Jamel Eddine Bencheikh, Gallimard, « Pléiade », 3 vol., 2005-2006). Car comme Shéhérazade, avec l’amour, celui de son épouse, de son fils, de la langue arabe et des sagesses d’Orient, André Miquel n’en a jamais fini.

André Miquel en quelques dates
26 septembre 1929 Naissance à Mèze (Hérault)
1961-1962 Séquestré dans les geôles de Nasser lors d’une mission culturelle en Egypte
1976-1997 Chaire de langue et littérature arabes classiques au Collège de France
1984-1987 Président de la Bibliothèque nationale
1991-1997 Administrateur du Collège de France
2005-2006 Traduction des « Mille et une nuits » (Gallimard, « Pléiade »)
27 décembre 2022 Mort à Paris

Source: Le Monde France

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